Les conditions de la garde-à-vue telles qu’appliquées en France ont été déclarées inconstitutionnelles par le Conseil Constitutionnel dans sa décision du 30 juillet 2010 n°2010-14/22.
Et, c’est une petite révolution qui bouscule les lois et les projets de réforme de procédure pénale actuelle. Au poids grandissant de l’accusation incarnée en la personne du procureur de la République, se trouve réaffirmé l’importance de préserver le rôle de la défense incarnée en la personne de l’avocat.
Définition :
La garde-à-vue consiste à retenir une personne contre son gré à la disposition des services de police sous l’autorité du Procureur de la République lorsqu’ « il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction » (article 63 du Code de procédure pénale).
Le procureur de la République est un magistrat (un juge) placer sous l’autorité du pouvoir de l’exécutif. Il dirige les services de police.
La procédure actuelle :
Lor d’une enquête, une personne peut être placée en garde-à-vue par les services de police pour une durée de 24 heures prorogeable une fois pour la même durée par le Procureur de la République avec ou sans présentation du gardé-à-vue.
Les droits du gardé-à-vue sont dans les 3 heures (sauf état d’ébriété) de sa privation de liberté d’aller et venir :
– la consultation d’un avocat lors d’un entretien d’une durée de 30 minutes. Lors de cet entretient, l’avocat n’a pas accès au dossier d’enquête, il n’assure pas la défense du gardé-à-vue ;
– le droit de faire prévenir sa famille, son conjoint ou son employeur ;
– le droit de se faire examiner par un médecin.
Ces droits doivent lui être exprimés dans une langue que le gardé-à-vue comprend.
La pratique de la garde-à-vue :
Dans son § n°15, le Conseil Constitutionnel constate : « Depuis 1993, certaines modifications des règles de la procédure pénale ainsi que des changements dans les conditions de sa mise en oeuvre ont conduit à un recours de plus en plus fréquent à la garde à vue et modifié l’équilibre des pouvoirs et des droits fixés par le code de procédure pénale« .
Le gouvernement a dû fournir quelques données chiffrées : en 1993, le nombre d’officier de police judiciaire autorisé à placer en garde-à-vue était de 250.000. En 2009, ils sont 53.000. Cela ne veut pas dire qu’il y ait plus de policier : cela veut dire que plus de policier ont le pouvoir de priver de liberté une personne.
Le nombre de garde-à-vue est de 790.000 en 2009.
On constate donc un recours systématisé à la garde-à-vue et un poids croissant de l’accusation.
Pourquoi la remettre en question :
Or, la recherche de la vérité passe par un équilibre entre l’accusation et la défense.
L’avocat n’est pas là pour entraver l’enquête, il participe à l’oeuvre de justice. Il veille aux respects des droits individuels. Il est l’alter égo du procureur de la République qui accuse. Il doit exister un équilibre entre les rôles de l’accusation et de la défense pour se préserver du risque d’erreur judiciaire.
L’intérêt de la garde-à-vue est d’obtenir des aveux. Or, l’aveu, s’il est un moyen de preuve privilégiée aujourd’hui, est loin d’être le seul et le plus efficace : le développement de la police scientifique, les moyens de perquisitions et autres permettent également une recherche de la vérité efficiente.
La nécessité de garantir les droits du gardé-à-vue sont une nécessité de préservation de la présomption d’innocence. N’importe qui ne peut pas être privée de sa liberté sans un minimum de préservation de ses droits.
Et quand bien, s’agirait-il de flagrance, les droits doivent permettre une défense utile.
Le gardé-à-vue n’est pas informé de la totalité de ces droits, et notamment de son droit de garder le silence. Le risque est l’arbitraire.
Fondement de la décision :
Deux arrêts de la Cour Européenne des Droits de l’Homme et du Citoyen ont affirmé la nécessaire présence de l’avocat lors de toute mesure privative de liberté (arrêt du 27 novembre 2008 Salduz contre Turquie et 13 octobre 2009 Dayanan contre Turquie).
La décision rendue le 30 juillet 2010 par le Conseil Constitutionnel repose sur les articles 7, 9 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 .
Il est dit : « son article 63-4 ne permet pas à la personne ainsi interrogée, alors qu’elle est retenue contre sa volonté, de bénéficier de l’assistance effective d’un avocat ; qu’une telle restriction aux droits de la défense est imposée de façon générale, sans considération des circonstances particulières susceptibles de la justifier, pour rassembler ou conserver les preuves ou assurer la protection des personnes ; qu’au demeurant, la personne gardée à vue ne reçoit pas la notification de son droit de garder le silence« .
Le Conseil Constitutionnel ne considère pas que les mesures actuelles soient inconstitutionnelles par nature. C’est la pratique généralisée de la mesure de garde-à-vue qui est remise en cause sans distinction selon la nature de l’infraction.
Il est encore dit que les conditions actuelles de la garde-à-vue : « n’instituent pas les garanties appropriées à l’utilisation qui est faite de la garde à vue compte tenu des évolutions précédemment rappelées ; qu’ainsi, la conciliation entre, d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public et la recherche des auteurs d’infractions et, d’autre part, l’exercice des libertés constitutionnellement garanties ne peut plus être regardée comme équilibrée.«
C’est donc la recherche d’un équilibre qui est ici affirmé. Si le rôle des pouvoirs d’enquête est important pour trouver les auteurs de l’infraction, toute personne suspectée doit pouvoir bénéficier de ses droits de la défense et de la présomption d’innocence.
Or, dans les pays tels que l’Allemagne, l’Angleterre et le pays de Galles, la Belgique, le Danemark, l’Espagne et l’Italie, il a été constaté dans le document de travail du Sénat que la garde-à-vue est une mesure d’enquête utilisée non pas pour toute infraction, mais pour celle présentant une certaine gravité. Dans ces pays, sauf en Belgique, les gardés-à-vue ont le droit à l’assistance effective d’un avocat dès la mesure privative de liberté.
Décision :
Le Conseil Constitutionnel a décidé :
– que les articles 706-73 et 63-4 du Code de procédure pénale sont constitutionnels de part une précédente décision du Conseil Constitutionnel ;
– que les articles 62, 63, 63-1, 63-4 al. 1 à 6 et 77 du Code de procédure pénale sont inconstitutionnels ;
Lorsque des dispositions légales sont déclarées inconstitutionnelles, elles sont abrogées. Une abrogation pure et simple des règles de la garde-à-vue ne sont pas souhaitable.
– Le Conseil Constitutionnel a donc donné un délai au législateur qui a jusqu’au 1er juillet 2011.
Saisine :
Le Conseil Constitutionnel a été saisi les 1er juin 2010 et 11 juin 2010 sur décision de la Cour de cassation n°12030 du 31 mai 2010 en vertu de l’article 61-1 de la Constitution.
Articles 62, 63, 63-1, 63-4, 77 et 706-73 du Code de procédure pénale relatif au régime de la garde-à-vue.